Tieri BRIET, Armand DUPUY, Laurent POLIQUIN…
Il y a des coïncidences qui nourrissent mes lectures d’une façon inattendue et décisive. Ce premier Mai 2014 sera marqué par le flottement conjugué de cette conjonction d’écritures toutes trois masculines, absorbées avec la plus grande attention et un désir de résonance inédite. Je sais qu’il faudrait s’adresser à chacun dans l’intimité d’une relation distinguée, m’adresser à chaque auteur en fonction de son style narratif ou de l’ancienneté de l’estime qui nous a fait nous rencontrer. Je le ferai peut-être plus tard, cédant à des élans que je connais bien mais ne maîtrise pas. « Le poème est un rapt » disait notre Ami Charles JULIET. Je l’assume joyeusement.
Les points communs sont si nombreux avec Tieri , Armand et Laurent, si évidents, que je me retrouve soudainement propulsée en arrière jusqu’à une nappe phréatique d’où ne peuvent sourdre que quelques phrases hâtivement filtrées par mon impatience à les offrir.
Je ne ferai aucune promesse de texte. Je laisserai vibrer dans ma voix ce qui ne veut plus être ajourné. Les livres sont des réservoirs de temps compressé et ajusté à la folie de vouloir les contenir. En ouvrant de « vrais livres », il n’est pas étonnant qu’on ne puisse plus les refermer facilement. On a peine à les quitter aussi vite et béants. Ils restent ouverts sur les pages cornées qui nous ont fait nous attarder en souriant silencieusement dans l’émotion crue et la connivence profonde. Lorsque « C’est bien dit ! » comme le souhaitait Marguerite DURAS ma grande sœur de conscience, l’accord se fait entre les mots et l’émotion, l’esprit valide et inscrit le sens de façon indélébile. Reste la question de l’interprétation, me direz-vous ? Pour moi la réponse est facile. Je reste convaincue, malgré « l’amuïssement des certitudes », que les interprétations ne valent que de soi à soi-même, même si elles transitent par des intermédiaires très bien inspirés. Leur universalité est un après-coup anonyme qui permet à d’autres de s’exprimer dans une langue renouvelée, affiliée à leur époque et à leurs problèmes existentiels. On peut donc commenter à l’infini, on peut se taire également. C’est pourquoi je choisis trois premiers extraits des livres que j’ai « bus » pour les relier à l’eau courante de ma tête où toutes mes pensées sont ce soir des « embarquées volontaires »…
Tieri BRIET écrit pour sa fille souffrante et pour la tendresse en humanité autour…dans Fixer le ciel au mur, Editions La brune au rouergue, février 2014 page 63.
« J’observe le corps de celle que j’adore, je peux imaginer ce qui changera en elle pendant les mois qui viennent. La douce métamorphose liée à l’attente d’un enfant. Est-ce une image de matrice comme on l’imagine à seize ans ? Et comment deviner que tu allais éprouver, toi face aux métamorphoses d’un ventre de femme enceinte ? Je sais que pour toi, Noémie est une reine silencieuse. L’habileté de ses mains te fascine, qui savent coudre et fabriquer un livre, dessiner les animaux, et cuisiner mille délices. L’image d’un corps de jeune femme est un équilibre fragile, facile à déchirer. En toi, c’est une image que les médecins disent en danger. Une représentation altérée, difficile à guérir. Elle devra se construire à travers l’inépuisable jeu des corps autour de toi : morphologies des mères et des petites filles hautes comme trois pommes, avec au loin d’autres silhouettes, plus épaisses et plus lentes, appartenant aux femmes qui ont vieilli. Tout un peuple de créatures, filles d’Ève, parmi lesquelles tu fais ton chemin. Au milieu du mystère se trouve le corps sacré des femmes enceintes. »
ChAgAll et le Balayeur
Armand DUPUY, Par mottes froides ( Pas si froides …) Et qui peint… Editions Le Taillis Pré, Janvier 2014, pages 43-44.
une suite sans (3)
(Il faut se tenir aux choses, s’agripper)
On attend toujours
je ne sais quoi plus que rien
Des yeux clairs peut-être
le repas.
Tu t’assois sur le temps rassemblé,
sur ce qui ressemble au temps
disons façade affaissée, gravats,
tête de chat, rats secs.
Le manque d’élan
surtout le manque et ce jaune supposé, bien sûr, puisqu’on
l’ignore. Mais jaune efficace – tentacules, et tout
s’enchaîne.
Laine et glace plein la bouche /
boule,
mais roule.
Le jour se fait, pas vite, mais se fait. Se lie.
Les murs encaissent. Autour il n’y a pas de bruit, pas de
vent ni de terre sous les coups.
On termine comme ça,
Bien dans les choses.
Avec et sans.
Raciné mais, comment dire,
pas là.
Photographie d'Antonin Artaud sur une affiche dans la rue
Laurent POLIQUIN , de l’amuïssement des certitudes, Jacques André Editeur, Avril 2014, pages 21-23 et 102
VI
Tu sais que ton chez-toi
se découvre là
où tu vas
et non là
d’où tu pars
L .P., Céviz
J’ai relu les gémissements
les soupçons de lassitude
la dilapidation des corps
sous les lots
j’ai relu les infortunes dévêtues
de sang
inaperçu
j’ai relu le flétrissement poétique d’Artaud
l’initiation à l’obscur de Gauvreau
j’ai pesé et sous-pesé le sourd et le conte
qui rôdent par intempérie
dans le vers du poème
comme des augures
j’ai voulu réécrire en effaçant les mots
de droite à gauche à rebours
écrire le gommage vorace de la conscience
jazzer l’ombre
prêter mon obsession à l’accomplissement
simple
d’une couvaison brûlante
du vouloir dire
cette tristesse alanguie du ciel qui tombe
connaît le destin de la neige
ce silence blanc qui couvre
l’échine de chair des bourreaux
la brûlure des ajoncs
la ruine de l’opacité
elle atrophie cet aveuglement
qui redonne à voir
étire les amarres de l’arbre
unit
à la haute proue de l’œil
la noce étrange du froid
et roule les certitudes dans l’estomac
appelle le nouveau cri
assiste à la rupture ombilicale
met en doute le sang le silence
subtil autodafé
du cerveau servile
récupère l’agonie
la naissance se double s’essouffle se disperse
être deux dans la mémoire secrète
le réel confus n’écrit rien ici
il se détourne au mieux
dans le décousu du hasard